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Un bon ou un mauvais nez ?
Nos capacités olfactives sont bien meilleures qu’on ne le pense
Par Johannes Frasnelli
Quand il est question d’odorat, nous reconnaissons en général deux catégories de mammifères : les macrosmates (les super-nez) comme les rats, les souris ou encore les chiens, et les microsmates (les nez misérables) que sont la plupart des primates, ce qui inclut bien sûr les humains. Mais avons-nous à ce point un odorat si minable?
Certes, les macrosmates ont du flair. Alors que nous avons environ 400 types de récepteurs olfactifs dans nos nez, les chiens ont plus de 1 000 types différents, et les souris et les rats même plus de 1 200. Qui plus est, le bulbe olfactif, la partie du cerveau responsable du premier traitement de l’information olfactive, occupe moins de 1 % de la taille totale du cerveau humain, tandis que chez les macrosmates, sa taille relative à l’ensemble du cerveau est beaucoup plus importante. Ils ont aussi des capacités olfactives impressionnantes : ces espèces renifleuses peuvent notamment suivre une trace olfactive, identifier le sexe de leurs congénères et évaluer leur état de santé ou émotionnel. Le verdict semble incontestable : leur nez est supérieur au nôtre.
C’est dans les dernières décennies que nous avons appris que le nez humain est également capable d’exploits impressionnants. En effet, nous aussi sommes aptes à suivre une trace olfactive, comme les chiens à la poursuite d’un lapin. Des scientifiques de l’Université de la Californie à Berkeley l’ont démontré dans une étude très élégante. En fait, il fallait identifier une odeur qui était aussi intéressante pour des humains que ne l’est l’odeur d’un lapin pour un chien. Ils ont donc utilisé l’odeur de chocolat. Les chercheurs ont ainsi dessiné une trace chocolatée dans le gazon du campus de l’université et invitaient des volontaires à la suivre en n’ayant recours qu’à leur odorat, c’est-à-dire en portant des mitaines et en ayant les yeux bandés. La majorité des participants et des participantes ont tout à fait été capables de suivre la trace olfactive. Mieux, plus souvent ils en faisaient l’exercice, plus ils devenaient performants et rapides pour effectuer la tâche. Nous exerçons très rarement notre capacité de suivre une trace olfactive; si on le faisait plus souvent, on pourrait aussi devenir un humain renifleur.
D’autres laboratoires de recherche sur l’olfaction s’intéressent aux pouvoirs du nez. Les scientifiques ont ainsi noté que nos capacités olfactives sont bien meilleures qu’on ne le croit. Nous sommes tout à fait capables de recueillir des informations en humant l’odeur corporelle d’un autre humain. Nous pouvons notamment distinguer le sexe d’une personne par son odeur – et ici on ne parle pas de l’eau de toilette! –, car l’odeur corporelle d’une femme est différente de celle d’un homme. La plupart d’entre nous ont peut-être aussi déjà remarqué que notre odeur corporelle change après un repas. Lorsque nous consommons des plats composés d’ail, par exemple, certaines composantes de cette plante vont ressurgir par les glandes sudoripares. Résultat, nous sentons l’ail. De même, lorsque nous ingérons du cari, notre corps va exhaler le cari.
Notre capacité de percevoir l’odeur corporelle va plus loin : une personne qui souffre d’un rhume fiévreux verra son odeur corporelle changer; et son entourage remarquera ce changement. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, si on trouve que l’odeur de la transpiration d’une personne est désagréable, cela est probablement un héritage de notre évolution et une façon de nous tenir loin de nos congénères qui sont affectés par un virus. Plusieurs autres maladies comme les insuffisances rénale ou hépatique sont d’ailleurs associées à des changements typiques de l’odeur corporelle. Il faut savoir que, dans le passé, les médecins sentaient leurs patients et déterminaient une médication ou une thérapie (très souvent douteuse) à partir de cette évaluation qui était tout de même – doit-on l’admettre – très sommaire.
Cependant, nous constatons bien que nous sommes tout à fait aptes à accomplir des tâches olfactives qu’on croyait réservées aux espèces macrosmates. C’est vrai que nous utilisons certaines de ces capacités assez rarement et d’autres de façon inconsciente.
Une manière très simple de comparer l’humain avec d’autres espèces est de mesurer le seuil nécessaire pour détecter une odeur en la répertoriant selon la concentration minimale requise pour la capter. Encore là, nous remarquons que, nous humains, ne sommes pas si mauvais. Pour la plupart des odeurs, nous nous situons au milieu du peloton des espèces. Et pour une bonne série d’odeurs, nous sommes même l’espèce la plus sensible! Pour capter certaines substances issues de la fermentation notamment, comme des alcools, aucune des espèces étudiées n’est plus douée que nous.
En fait, dans notre monde, la place des odeurs est sans équivoque et montre combien l’odorat est important. Au supermarché, presque tous les produits sont vendus avec des odeurs. Les aliments et boissons, bien sûr, mais aussi les produits de nettoyage, les lessives ou encore les produits de soins personnels. Il existe même du papier de toilette parfumé! L’industrie des produits de luxe est en grande partie une industrie olfactive : les vins et spiritueux haut de gamme, les cigares cubains, les parfums… Les boutiques hors taxes sont des boutiques olfactives. Nous sommes prêts à dépenser beaucoup d’argent pour nous offrir des odeurs, en organisant des sorties au restaurant pour nous délecter de plats aromatiques et savoureux, en choisissant des grands vins ou en expérimentant des fromages exotiques. Si l’odorat n’avait pas d’importance pour nous, toute cette industrie gastronomique ne fonctionnerait pas.
Comme espèce, nous sommes très compétents pour réaliser plusieurs tâches olfactives. Nous n’avons qu’à penser aux performances impressionnantes des sommeliers, des parfumeurs, mais aussi de tous les chefs cuisiniers, professionnels ou amateurs, qui inventent de nouveaux plats. En comparaison, la vie gastronomique de votre chien – ce grand nez! – est bien banale. Vous pouvez le nourrir avec les mêmes croquettes toute sa vie, matin et soir, il sera le plus heureux au monde. Essayez de servir toujours le même déjeuner, diner ou souper à votre famille : après trois semaines, vous provoquerez une révolution. Nous, humains, avons besoin d’une stimulation olfactive diversifiée. Parce que notre nez est exigeant – et bien meilleur qu’on ne le pense.
Johannes Frasnelli est l’auteur de Humer, flairer, sentir, à paraitre aux Éditions MultiMondes. Il est neuroscientifique et médecin et co-dirige le groupe de recherche Cognition, Neurosciences, Affect et Comportement (CogNAC) à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
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