MultiBlogues
L’expansion nordique du renard roux
Un article d’Audrey-Maude Vézina
Écologie et histoire, ce sont deux disciplines qui ne vont pas habituellement de pair. Or, une équipe de l’Université du Québec à Rimouski a fait appel à l’écologie historique pour démystifier l’expansion remarquable du renard roux vers le nord. Au cours du 20e siècle, le petit mammifère s’est aventuré de près de 1700 km vers l’Arctique.
Une étude datant de 1992 suggérait que le réchauffement climatique était à l’origine de cette expansion. En effet, les températures plus élevées auraient augmenté la disponibilité de la nourriture dans la toundra. Cela aurait ainsi permis au renard roux d’y survivre. Les conclusions de l’étude se sont répandues. Le cas est ensuite devenu un exemple classique de changement de distribution dû au climat. Mais les chercheurs de Rimouski sont arrivés à une conclusion bien différente dans leur étude sur le renard roux. La température n’aurait pas eu une si grande importance par rapport à un autre facteur : la sédentarisation de l’homme dans le nord.
Les biologistes ont utilisé les archives de la Compagnie de la Baie-d’Hudson sur la traite des fourrures de 1926 à 1950 pour déterminer la présence du renard roux dans les régions nordiques. Les documents historiques informaient sur les achats de la fourrure, les postes de traite et leur localisation. Les chercheurs allaient ensuite fouiller dans des sources connexes pour trouver davantage d’information. « On a passé du temps à bidouiller dans l’histoire du nord. Ce n’est pas vraiment un réflexe en tant que biologiste », raconte Daniel Gallant, premier auteur de l’étude.
L’influence du climat
Une fois toutes les données en main, les chercheurs ont vérifié deux hypothèses en lien avec le climat. La première propose que les températures estivales aient entraîné l’expansion du renard roux grâce à une disponibilité accrue des ressources. Par exemple, une plus longue croissance des plantes se reflète chez les herbivores, la proie principale des renards. La deuxième concernait plutôt les températures hivernales, où un climat plus doux réduirait les besoins énergétiques. La nourriture de la toundra aurait ainsi été suffisante pour permettre à l’espèce de s’y implanter.
Les chercheurs ont démontré une faible corrélation entre ces deux hypothèses et les données de la traite des fourrures. Le réchauffement ne serait donc pas la cause du changement de répartition. Le climat a toutefois eu une influence sur la vitesse d’expansion. « Dans tous les cas, le renard roux se déplaçait vers le nord, mais on remarque une expansion plus lente avec un climat plus froid, et inversement », résume Daniel Gallant.
Le rôle de l’humain
Une troisième hypothèse se rapportant au rôle de l’humain présentait une plus forte corrélation. En effet, l’activité humaine dans le nord aurait favorisé l’expansion du renard roux. « La sédentarisation lui aurait offert des sources alternatives de nourritures comme des rebuts de la chasse ou la pêche. C’est un prédateur généraliste et opportuniste », explique le biologiste.
Daniel Gallant tire une leçon de sa recherche : « Il faut garder un esprit ouvert pour les futurs changements dans le nord. Les changements climatiques ont marqué un grand nombre d’espèces, mais l’histoire est parfois plus complexe qu’elle en a l’air. »
Audrey-Maude Vézina est détentrice d’un baccalauréat en physique de l’Université Laval. Elle avait « plus envie de parler de recherche que de la faire », alors elle s’est réorientée en journalisme scientifique. Elle est lauréate de la bourse Fernand-Séguin 2018. Elle a contribué au site web du magazine parisien La Recherche. Ses thèmes de prédilection sont l’environnement et la biodiversité.
Commentaires