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La restauration du Lac aux castors est un désastre écologique

12.09.19

Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé


Le Lac aux castors du mont Royal est un désastre écologique où les espèces indigènes sont disparues, faute d’un habitat adéquat pour se reproduire. Les dernières grenouilles y ont été aperçues il y a plus de 30 ans.

La Ville de Montréal a manqué une bonne occasion de donner à ce plan d’eau une nouvelle jeunesse lorsqu’elle l’a vidé puis reconstruit à grands frais, en 2013. « Nous avions proposé d’aménager une partie de ses berges avec de la végétation aquatique indigène, de façon à permettre le retour des amphibiens et des reptiles. Malheureusement, ces propositions n’ont pas été retenues », mentionne le vétérinaire et herpétologiste Martin Ouellet, auteur de deux inventaires réalisés en 2004 et 2015 pour le compte de la Ville de Montréal.

Dans le premier de ces inventaires ayant nécessité 121 journées d’observations au mont Royal (le seul ayant été rendu public), le vétérinaire et son équipe d’Amphibia-Nature rapportent la présence de quatre espèces d’amphibiens et reptiles : la couleuvre rayée, la couleuvre à collier, la salamandre à points bleus et la salamandre cendrée. Aucun individu n’a été trouvé au Lac aux castors. « Pourtant, reprend le Dr Ouellet en entrevue, si on se fie à la biodiversité d’une Montérégienne comparable, le mont Saint-Bruno, situé à une trentaine de kilomètres, ce sont de 20 à 30 espèces de ces classes qu’on devrait compter. »

Biodiversité ou design?

Peu de gens le savent, mais il y a eu une bataille féroce entre les défenseurs de la biodiversité et les tenants du design « patrimonial » du site quand on a reconstruit le bassin et ses environs en 2012 et 2013, au coût de 8,3 millions de dollars. Bataille qui a été remportée par ces derniers.

Résumons la situation. Lorsqu’on a annoncé le début des travaux de restauration de ce « joyau vert », selon le mot d’un représentant de la Ville, les écologistes souhaitaient que le bassin redevienne un lac, soit une étendue d’eau aux rives herbacées permettant à la petite faune d’aller et venir. L’autre camp souhaitait une remise à l’identique du bassin dessiné par Frederick Todd en 1938. L’architecte de paysage avait dessiné un bassin entouré d’un muret de béton. C’est cette structure qui a été reconstruite.

« Nous ne demandions pas la Lune; seulement de remettre une partie des berges à l’état naturel », résume le botaniste Jacques Brisson, qui était membre du comité chargé de conseiller la ville sur la reconstruction. Le comité a signé un avis défavorable à la reconstruction à l’identique compte tenu des « potentialités exceptionnelles pour créer un milieu propice aux espèces animales et végétales ». Mais cet avis n’a pas été entendu. Une revégétalisation des rives aurait permis le retour des grenouilles en plus d’aider la reproduction de la sauvagine, réduite à une plate-forme flottante, faute d’accès à la rive.

Même les Amis de la Montagne ont avalisé cette restauration anti-écologique. « À notre connaissance, la réfection du Lac aux castors s’est appuyée sur l’Énoncé de valeur patrimonial du site, dans l’optique de remettre le bassin conforme à la vision de Todd », explique par courriel le directeur des Affaires publiques de l’organisme, Benoit Labbé.

Un lac ancien sur le mont Royal

Les tenants de la ligne patrimoniale ont mis en doute la présence d’un lac naturel à cet endroit. Or, Brisson a fait vérifier la chose par un palynologue d’expérience, Pierre J. H. Richard, professeur émérite au Département de géographie de l’UdeM, qui a produit un rapport exhaustif sur la question. Son analyse des sols démontre qu’il y a bel et bien eu une tourbière à cet endroit, indice précieux d’un ancien lac. Selon lui, la dépression naturelle a accueilli de l’eau durant plusieurs millénaires avant d’être drainée au début du 20e siècle.

« Il y a d’abord eu une lagune baignée par les eaux salées de la Mer de Champlain à sa limite altitudinale maximale, il y a environ 13 000 ans avant nos jours. Puis le retrait de la mer a dégagé une dépression d’au moins 3,5 mètres de profondeur qui fut occupée par de l’eau douce, puis par de la tourbe (mince), puis encore par l’eau douce, puis par de la tourbe (épaisse) enfin colonisée par des arbustes et des arbres. Les castors se sont installés une ou plusieurs fois (troncs grugés). »

Alors que le Jardin botanique de Montréal inaugure un « parcours de la phytotechnologie » qui utilise des plantes pour « restaure(r) l’environnement et facilite(r) l’activité des écosystèmes qui maintiennent la vie », on ne peut que déplorer que l’avis des experts n’ait pas été tenu en compte à quelques kilomètres de là quand un véritable exercice de développement durable s’est présenté.


Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.

Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.

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