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La science est sexiste… mais elle se féminise

06.03.19

Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé


En 2017, je publiais un article intitulé « La science est sexiste  », mettant en lumière les travaux de Vincent Larivière et de ses collaborateurs qui concluaient à une sous-représentation des femmes en science. Le sexisme était systémique : moins de femmes dans les équipes, moins de femmes parmi les sujets en recherche clinique. Leurs travaux montraient que le sexisme s’affichait jusqu’au chapitre des signatures coiffant les articles savants. « Quand une femme est première auteure, l’article est moins cité que quand c’est un homme! » résumait-il. Une différence de 10 % dans le nombre de citations.

Récemment, le même chercheur rendait publics d’autres résultats dans The Lancet précisant que le nombre d’articles scientifiques tenant compte des deux sexes dans la méthodologie avait considérablement augmenté entre 1980 et 2016, passant de 59 % à 67 % en médecine clinique et de 36 % à 69 % en santé publique. Se peut-il qu’en si peu de temps, la recherche mondiale se soit « féminisée » à un point mesurable?

Pas vraiment. En réalité, les deux recherches portaient sur des données différentes et avaient des objectifs distincts. Si elles portaient toutes deux sur la représentation des sexes dans la production et la communication scientifiques, la plus récente a cherché à démontrer si les femmes étaient plus souvent tenues en compte dans la méthodologie. Alors que la première analysait 85 000 articles parus depuis cinq ans, la seconde portait cette fois sur 11,5 millions d’articles en 36 ans. Et si les choses s’améliorent lentement dans certains secteurs, elles demeurent préoccupantes en recherche pharmacologique, notamment.

Une double sous-représentation très néfaste

Il y a beaucoup de choses à retenir de ces deux études. Sur le plan des similitudes, on constate que les femmes sont sous-représentées tant parmi les signataires d’articles savants que dans les échantillons humains qui sont testés. Les disparités, qui désavantagent les femmes, « ont des effets sur la production de connaissances savantes, l’évaluation de la recherche et la conduite éthique de la science », estiment les auteurs de The Lancet.

Cette situation provoque des problèmes concrets. Un exemple parmi d’autres : on sait que les femmes ne réagissent pas de la même manière aux médicaments, mais on continue de calculer la posologie à partir de recherche clinique sur des volontaires masculins. Or, sur les 10 médicaments retirés du marché entre 1997 et 2001 à cause des risques qu’ils posaient pour la santé humaine, 8 avaient des effets encore plus néfastes chez la femme.

La maternité nuit aux carrières des chercheuses

Secundo, on remarque assez vite que, dans les laboratoires, les femmes sont très nombreuses à des postes de techniciennes ou d’assistantes de recherche. Les patrons (donc premiers auteurs) sont le plus souvent des hommes. Or, il y a une explication sociologique à cela; c’est que les décisions professionnelles les plus capitales dans la vie d’un chercheur ou d’une chercheuse se prennent vers 30 ou 35 ans; c’est à cet âge que se fait entendre le décompte de l’horloge biologique. À partir de ce moment décisif, le fossé entre les hommes et les femmes se creuse et l’écart ne se réduit jamais, même chez celles qui suivent la voie conduisant au statut de chercheuse principale. Les chercheuses sont moins nombreuses à faire des demandes de financement, à participer à des conférences internationales, etc.

Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante n’avait pas terminé ses études de doctorat sur la productivité en recherche qu’il était sensibilisé à ce biais qui colore la science un peu partout dans le monde. En 2011, Larivière signait avec d’autres spécialistes un article dans Scientometrics sur les différences de genre chez les universitaires québécois dans le financement de la recherche, la productivité scientifique et l’influence de la production scientifique.

L’égalité sexuelle en science est souhaitable et elle fait l’objet d’une prise de conscience planétaire. « Je ne parle pas d’un point de vue idéologique, mais bien empirique, m’expliquait Larivière à la veille de son départ pour Londres où il devait présenter son analyse, il y a quelques semaines. En améliorant la place des femmes en recherche, on améliore la qualité des résultats des études scientifiques. »


Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.

Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.

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