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MultiBlogues

Abolissons la boxe!

04.12.18

Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé


Le knock-out d’Adonis Stevenson, le 1er décembre au Colisée de Québec, devrait être la goutte de sang au cerveau qui fait déborder le vase de l’incohérence. Le temps est venu d’abolir la boxe, cette exhibition barbare qui a pour objectif de provoquer chez l’adversaire une commotion cérébrale. Ce sport « n’a pas de sens » déclarait à Radio-Canada le neurochirurgien Georges L’Espérance au lendemain de l’incident qui s’est déroulé devant des milliers de spectateurs et dont la captation a été diffusée à répétition depuis.

Il y a quelques années, le Dr L’Espérance a lancé l’idée d’un moratoire sur la boxe au Québec. Comme lui, la plupart des experts du cerveau déplorent la pratique d’un sport qui vise spécifiquement la tête. « Aucun neurologue n’est en faveur d’une chose pareille », m’a déjà dit le Dr Serge Rossignol, une des sommités canadiennes en neurosciences.

Debbi Smirnoff

Rappelons que les commotions cérébrales sont des traumatismes crâniens de mieux en mieux documentés. Les conclusions de milliers d’études convergent vers des effets indiscutables. La gravité de la blessure s’accroît en fonction de la fréquence. Un incident, c’est déjà trop. Mais un athlète de la trempe de Stevenson reçoit facilement une douzaine de coups par combat, sans compter ceux qui pleuvent durant les séances d’entrainement. Tous ne provoquent pas d’effets immédiats, mais si on suit les sujets, on note des dommages irréversibles. Maux de tête, vertiges, pertes de mémoire et de conscience, vieillissement prématuré. À 50 ans, de nombreux ex-pugilistes ont un cerveau de 80 ans. Des maladies dégénératives les guettent.

« Puristes et âmes sensibles » vont relancer ce « vieux débat » sur l’abolition, écrit Réjean Tremblay dans sa chronique du Journal de Montréal. Quand on lit des choses pareilles, on ne peut s’empêcher de penser aux aristocrates britanniques qui allaient puiser des hères dans la plèbe de Londres pour les hisser au sommet des podiums. Ils les traitaient comme des bêtes de cirque nourries et soignées avec soin jusqu’aux compétitions et s’amusaient de les voir s’entretuer à mains nues en pariant sur les meilleurs. Louis Hémon a écrit un roman remarquable sur ce sujet : Battling Malone, pugiliste.

Et les autres sports?

S’il y a des incidents dans de multiples activités physiques, la plupart des sports n’ont pas pour but de plonger l’adversaire dans l’inconscience. Et, puisqu’on est en 2018, les commotions cérébrales ne peuvent plus être ignorées au football et au hockey professionnel. Chez les enfants, on limite de plus en plus les contacts physiques au hockey; seules quelques ligues élite permettent encore de « plaquer ».

Le neuropsychologue Dave Ellemberg, qui étudie le sujet depuis 20 ans, voit une incohérence dans la protection tous azimuts de nos enfants et la liberté de pratiquer des sports de combat visant la tête. Sans vouloir s’avancer jusqu’à l’interdiction pure et simple des sports de combat (« c’est très compliqué », dit-il), Dave Ellemberg croit qu’il faut les bannir sans tarder chez les mineurs. « Les adultes sont libres de décider pour eux, mais en ce qui concerne les enfants et les adolescents, ça devrait être interdit. Le plus tôt sera le mieux. »

Pourrait-on permettre des combats interdisant des coups au-dessus des épaules? Le sujet a été abordé avec les représentants des associations sportives. Ils considèrent cette solution inapplicable. Leurs athlètes ne pourraient pas participer aux compétitions hors du Québec et les organismes perdraient leurs subventions. Mince consolation, aucun pays ne peut être pris en exemple en matière d’interdiction. Le Québec n’est ni pire ni meilleur…

J’ai déjà interdit à un de mes fils de participer à des combats de boxe. « Oui à l’entrainement, mais non aux combats », lui avais-je dit.

Il m’en a voulu longtemps. Mais il a gardé toute sa tête.


Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.

Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.

Commentaires

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Une réponse à «Abolissons la boxe!»

100% d’accord. C’est pour cela que la boxe et les « arts «  martiaux mixtes ont toujours été absents de Sport Débrouillards.

—  Par Félix Maltais, le 04.12.2018