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Station spatiale internationale

Un Stade olympique dans l’espace

20.11.18

Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé


Dans quelques jours, le 3 décembre, l’astronaute canadien David Saint-Jacques décollera de Baïkonour au Kazakhstan dans une fusée russe Soyouz à destination de la Station spatiale internationale (SSI). Quelle science va-t-il pratiquer là-haut? « Il n’y a pas de recherche scientifique digne de ce nom dans la station spatiale internationale. On ne fait que tourner en rond à 350 km de la Terre », répond l’historien des sciences et physicien Yves Gingras.

Quand on lui parle d’exploration spatiale, le professeur de l’UQAM s’emporte. « C’est une erreur sémantique d’utiliser cette expression. L’exploration spatiale, c’est aller là où on n’est pas allé; par exemple hors du système solaire, voire du côté sombre d’un objet. Ici, on ne fait rien de tel. »

Et les connaissances acquises pour les vols habités interplanétaires? « Des robots feront mieux, et pour moins cher, si on les envoie sur Mars ou ailleurs », répond-il.

Sur le site même de l’Agence spatiale canadienne, on ne prétend guère faire avancer les connaissances en astrophysique ou en astronomie; même le terme « exploration spatiale » est absent. Les 200 expériences en cours ou antérieures à la SSI contribuent plutôt à « à l’avancement de notre savoir dans les sciences de la santé et de la vie ». En gros, on étudie le corps humain en apesanteur, ce qui peut aider à mieux comprendre les effets à long terme des voyages spatiaux. Même la croissance des végétaux ou la cristallographie ont perdu tout intérêt pour les chercheurs.

Gingras n’est pas le seul à douter de la pertinence scientifique de la Station spatiale internationale… même s’il est parmi les rares à le dire ouvertement. L’astronome Robert Lamontagne exprimait des doutes similaires dans un reportage de Louis-Philippe Ouimet au Téléjournal de Radio-Canada en 2013 intitulé « Trop chère, la Station spatiale internationale? » Le directeur du Cosmodôme de Laval, Sylvain Bélair, y exprimait des critiques similaires.

483 millions

En lançant le satellite Alouette 1 dès 1962, le Canada devient le troisième pays après les États-Unis et l’URSS à participer à la « conquête spatiale ». Par l’intermédiaire du programme du bras télémanipulateur Canadarm, le pays investira 30 millions par année dès 1972 dans ce secteur, un budget qui ne cessera jamais de croître. Aujourd’hui, le budget annuel de l’Agence spatiale canadienne atteint 483 millions. Par comparaison, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada a un budget global de 388 millions de dollars.

Il est assez amusant de constater que l’enthousiasme canadien ne s’est pas essoufflé pendant que les Conservateurs étaient au pouvoir. C’est même sous Steven Harper que la participation du Canada a été renouvelée en 2015. Stephen Harper engageait le Canada pour 300 millions jusqu’à 2024 dans l’aventure. Comme si la recherche se résumait pour ces gens qui muselaient les scientifiques et fermaient des labos à une feuille d’érable sur un uniforme d’astronaute.

Bien sûr, il faudra regarder notre Super Canadien s’élever jusqu’à la station spatiale. Sa mission exige sans contredit une condition physique et des acuités intellectuelles hors du commun. Être exceptionnellement doué, Saint-Jacques est médecin, ingénieur physique et astrophysicien. Il réalisera un rêve que des millions d’enfants ont entretenu à un moment ou à un autre.

Mais pour les gens restés sur Terre, faire le tour de la Terre 16 fois par jour à une vitesse de 28 000 km/h ne saurait faire oublier que c’est un Stade olympique qu’on a envoyé dans le vide…


Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.

Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.

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