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« La Conversation », du nouveau en communication scientifique
Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé
En lançant, l’automne dernier, La Conversation, une édition canadienne-française de The Conversation, l’éditeur international propose une nouvelle forme de communication entre les chercheurs scientifiques et le public. « Notre objectif est d’amener des universitaires à s’adresser directement aux gens », explique la journaliste Martine Turenne, qui dirige la rédaction du nouveau média auquel plusieurs universités québécoises se sont abonnées. L’objectif de la rédactrice en chef est de publier quotidiennement un article original.
En ce 7 janvier 2019, on peut lire par exemple un texte du professeur d’optométrie Langis Michaud qui déplore une épidémie de myopie chez les enfants. La cause? L’utilisation d’écrans rapprochés à un âge précoce… Précédemment, Geneviève Sicotte, de l’Université Concordia, a proposé une réflexion sur la culture alimentaire, et Francis Dupuis-Déry et Mélissa Blais, de l’UQAM, sont revenus sur les événements du 6 décembre 1989.
La recherche livrée directement au lecteur
Dans une conférence Ted-x, le fondateur de The Conversation, Andrew Jaspan, explique qu’en matière de communication scientifique, les universités sont des créateurs de connaissances alors que les médias sont des diffuseurs de connaissances. Tous sont conscients des problèmes que pose cette médiation : les chercheurs sont souvent mal compris, mal cités et parviennent rarement à indiquer les nuances qui s’imposent dans les reportages auxquels ils collaborent. Si on parvenait à faire en sorte que les universités présentent leurs connaissances directement au public, on abolirait un intermédiaire erratique. Jaspan donne l’exemple d’un spécialiste australien de la grippe, qui se fait interviewer chaque année sur les modes de transmission de l’infection. Chaque année, il dort mal la veille de la diffusion, car il craint d’avoir été mal cité dans le journal du lendemain. En créant un véhicule de communication passant de l’expert au citoyen, ce risque est effacé.
Le journaliste britano-australien a lancé The Conversation en Australie en mars 2011. Deux ans plus tard paraissait la version Royaume-Uni, puis celle des États-Unis en novembre 2014. L’Afrique et la France ont suivi en 2015 et le Canada en 2017. Aujourd’hui, les textes des centaines de collaborateurs comptent 10,7 millions de lecteurs pour une audience globale de 38,2 millions, selon le site.
Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM, a publié dans The Conversation (Canada) un article sur les fake news diffusées par Facebook durant les élections canadiennes. « Je trouve que c’est une nouvelle voie prometteuse. Ce n’est pas de l’édition savante, mais c’est autre chose que les tribunes libres des grands journaux. Dans le cas présent, c’était le meilleur véhicule vers les lecteurs du Canada anglais », dit-il. C’était avant la création de La conversation, auquel il entend collaborer sans hésiter.
La fin du journalisme scientifique?
La première fois qu’on m’a parlé de ce média, je me suis demandé si c’était la fin du journalisme scientifique. Après réflexion, et après avoir vu courir le cheval, je suis plutôt rassuré. D’abord, parce que le concept s’appuie sur une expertise journalistique et tout ce qui l’accompagne en matière éthique et déontologique – ce qui protège le public des risques de désinformation. De plus, on aura encore besoin de journalistes pour éditer les textes des auteurs. Ensuite, parce que les collaborateurs de ce type de médias seront toujours une minorité. On attend d’eux qu’ils écrivent vite (souvent, les articles sont liés à l’actualité) et dans un langage accessible. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Pour paraphraser De Gaulle, des chercheurs qui cherchent à parler aux médias, on en cherche, des chercheurs qui veulent rester dans leur tour d’ivoire, on en trouve.
Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.
Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.
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