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Go, Franglos, Go?
Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé
L’Université McGill se penche actuellement sur un dossier délicat. Pas le financement de la science, l’éthique en recherche ou l’usage militaire de l’intelligence artificielle… Le sujet : doit-elle rebaptiser ses équipes masculines de sport d’excellence? Selon Tomas Jirousek, un avironneur étudiant d’origine autochtone, le nom « Redmen » porte atteinte à la réputation des Premières nations. Depuis sa sortie médiatique en octobre, les étudiants lui ont donné raison par la voie d’un référendum auquel près de 6000 personnes ont pris part; 78 % des votes étaient en faveur du changement. « À moins d’être vous-même autochtone, vous ne pouvez pas vraiment comprendre la douleur et l’isolement que procure ce nom, Redmen », a-t-il expliqué au journal McGill Tribune.
Le comité interdisciplinaire doit déposer ses recommandations en janvier 2019. Selon toute vraisemblance, McGill rebaptisera ses équipes. Comment? Deux blogueurs étudiants, Ali Shwenk et Quinn Halman proposent « Redbirds » (on pourrait recycler une partie des uniformes) ou « Franglos » (on rendrait hommage à cette demi-langue parlée par les Montréalais).
Go, go, les Franglos!
À titre de Blanc ayant grandi en banlieue de Montréal, je me suis demandé ce qu’il y avait d’offensant dans le fait que des athlètes aux uniformes rouges arborant des armoiries universitaires stylisées se fassent appeler Redmen. Né il y a un siècle (en 1920), le logo évoquait les ancêtres écossais (roux) de James McGill. Il y a bien eu association avec les autochtones dans les années 1980 – une erreur étymologique renvoyant aux « redskins » —, mais cela a été corrigé en 1992.
J’ai voulu savoir ce qu’en pense Marco Bacon, l’Innu qui dirige le centre des Premières Nations Nikanite de l’Université du Québec à Chicoutimi. Cette question du changement de nom des équipes athlétiques de McGill le laisse de glace. « Va-t-on changer le nom des Canadiens de Montréal – The Habs — pour éviter de salir la réputation des paysans canadiens-français d’autrefois? Non, cette dénomination appartient à l’histoire et personne ne s’en offusque. »
Comment nommer les nomades précoloniaux? Cette question est tout de même délicate, reconnaît le professeur Bacon. Dans les années 1960, on parlait des Indiens, voire des Sauvages. Puis on est passés à Amérindiens, Premières Nations et Autochtones. Aujourd’hui, il faudrait dire « Premiers peuples », une expression plus inclusive. Le Centre Nikanite sera bientôt rebaptisé en tenant compte de cette réalité. Quant au musée amérindien de Mashteuiatsh, il ne prévoit pas de nouvelle appellation. Et la Loi sur les Indiens fédérale demeure la Loi sur les Indiens.
L’éducation : une responsabilité collective
Une chose m’a frappé chaque fois que je me suis rendu dans des communautés autochtones (j’ai côtoyé des Atikamekw, Cris, Naskapis, Anishinabeg, Inuits et Innus) : la faible scolarisation des jeunes. C’est à mes yeux le problème social numéro un, duquel la plupart des autres découlent. Difficile d’obtenir un emploi sans formation. Pas facile de subvenir aux besoins de sa famille, etc.
Si on a une responsabilité collective, c’est de favoriser l’éducation des Premiers peuples. Tout en retrouvant la fierté de leurs racines, les jeunes doivent aller à l’école. C’est le message du médecin autochtone Stanley Vollant, qui a marché plus de 6000 kilomètres pour le transmettre.
Marco Bacon et son équipe font un travail exemplaire à ce titre. Actuellement, on compte 450 étudiants autochtones à l’UQAC. Trois fois plus qu’à McGill. On y enseigne la plupart des langues autochtones utilisées au Québec. 2019 sera d’ailleurs importante pour Nikanite puisqu’elle a été désignée par l’UNESCO année des langues autochtones. Au fait, Nikanite, ça veut dire « Va de l’avant ».
Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.
Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.
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