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Est-ce que le lithium est l’atout de la transition écologique?
Par Michel Jebrak
Le lithium est LE métal du moment. Il ne se passe guère de jours sans que paraisse une annonce dans les médias : le lundi, c’est le Mexique qui publie que sa prochaine constitution nationalisera l’exploitation du lithium; le mardi, c’est un journal écologiste qui s’inquiète des méfaits des batteries sur l’environnement; le mercredi, c’est le Mali qui autorise un accord entre des Chinois et des Australiens pour exploiter une mine; et le jeudi, des financiers déclarent qu’ils vont investir des milliards dans le lithium. L’engouement suscité par ce métal est dû à l’inquiétude planétaire concernant l’évolution du climat : il nous faut réduire au plus vite nos émissions de CO2 et tenter de stabiliser la montée en température de l’atmosphère.
Le lithium serait-il l’atout numéro un de la transition écologique ? Pour répondre à cette question, il faut faire la part des faits scientifiques, des infox propagées par quelques industriels ou militants écologistes et des rêves d’entrepreneurs visionnaires… Aujourd’hui, le lithium trouve son utilisation dans deux volets essentiels de la transition écologique : d’une part, c’est le métal des batteries lithium-ion des voitures électriques; et d’autre part, c’est une des solutions pour stocker l’énergie des sources intermittentes comme les éoliennes ou les panneaux solaires.
Le mérite du lithium réside dans ses propriétés exceptionnelles : c’est le métal le plus léger de l’univers, à tel point qu’il flotte sur l’eau. C’est un tout petit atome qui garde difficilement ses trois électrons autour du noyau. Le lithium-ion, c’est un atome de lithium qui a perdu un électron, un atome qui peut migrer dans une batterie et transporter de l’énergie. Cela permet donc de fabriquer des batteries légères, bien plus stables et bien plus puissantes que les vieilles batteries au plomb ou au nickel. Et le lithium est un métal abondant : on dispose de ressources gigantesques, tant dans des roches anciennes, comme au Québec ou en Australie, que dans les lacs salins de l’Altiplano en Amérique du Sud.
Mais il y a loin du minerai à la batterie. Prenons l’exemple du lithium canadien. Les mines potentielles exploiteraient un minerai contenant 1 ou 2 % de lithium : il faut donc extraire le minerai et le traiter pour séparer le minéral qui contient le lithium. Ensuite, il faut dissoudre ce minéral et le traiter à chaud pour en extraire le métal, sous forme de carbonates. Voici des opérations coûteuses en énergie, mobilisant des acides et pouvant comporter des risques environnementaux. C’est d’ailleurs pour cela que la Chine s’est fait une spécialité de la fabrication du carbonate de lithium, en important les minerais et en préparant les produits chimiques. Puis, il faut construire les batteries, d’abord les anodes et les cathodes, les assembler et faire des packs de batteries qui seront placés dans les Tesla, les Wuling Hong-Guang Mini et les Renault Zoe de ce monde (en 2020). Le lithium traverse donc souvent plusieurs fois le Pacifique, de la mine à la fonderie, jusqu’aux usines de piles et aux Mega Factories américaines…
On comprend que cette révolution lithium soulève des interrogations : comme pour toutes les mines, les entreprises respectent-elles suffisamment les droits des populations locales ? Quels sont les effets de l’exploitation sur des environnements fragiles comme ceux des lacs andins ? Et quel est le passif environnemental de la transformation en Asie ? Est-ce qu’en roulant dans nos automobiles propres, nous ne transférerions pas les dégâts environnementaux dans les pays les plus pauvres du monde ? Et qu’adviendra-t-il des batteries usées ? Il est difficile de s’y retrouver. D’autant qu’il s’agit d’une filière industrielle jeune, encore en construction : la compétition entre les technologies fait rage, les constructeurs automobiles tentent de pérenniser leur approvisionnement en lithium, tandis que les états rêvent de devenir la nouvelle Arabie Saoudite du 21e siècle…
Et c’est là où les fantasmes font dériver le réel : le lithium, ce n’est pas le pétrole. On l’utilise une fois, juste une fois, pour construire les batteries. On ne le consomme pas. Et il servira pour stocker l’énergie, quelle que soit sa source, vertueuse quant au CO2 si elle vient des barrages ou de l’éolien, discutable si elle vient du pétrole ou du charbon. La production minière et la transformation du lithium devront respecter les normes environnementales de plus en plus sévères; et ce sera d’autant plus possible que le prix du lithium représente bien peu dans le coût de production d’une voiture électrique ! Quant au recyclage, il fait encore l’objet de multiples travaux pour améliorer les procédés et contenir la forte réactivité du lithium. Chaque pays cherche à se placer dans cette nouvelle chaîne industrielle afin de réduire sa dépendance. Le marché des batteries aura triplé entre 2017 et 2025. Le lithium constitue donc un enjeu géopolitique, et la compétition entre les États-Unis et la Chine concerne déjà le Québec, producteur en émergence du métal du 21e siècle.
Michel Jebrak est professeur émérite au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQÀM. Il est l’auteur de Objectif lithium, Réussir la transition énergétique, récemment paru aux Éditions MultiMondes.
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