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Incohérence
Par Noémie Larouche
Il est 23 h, je devrais déjà être au lit. Mais non, j’écris.
Je noie l’appel au sommeil de mon cerveau dans un déluge de notes de piano. Ce même disque qui m’accompagne toutes les journées que j’étire dans la nuit pour grappiller du temps. Le vinyle est usé jusqu’à la corde… comme moi.
J’ouvre un nouveau document vide et sans titre, avec l’intention de le remplir.
Noircir des pages de mots, c’est ce que je préfère.
Noircir toutes les cases de mon agenda, jusqu’à la dernière, avec cette fausse impression de combler le vide : c’est mon quotidien. Mais la vérité, c’est que plus je le comble, plus ce vide m’habite.
Et parce qu’il faut bien trouver un titre à ce document ― vide, lui aussi ―, j’inscris intuitivement : Incohérence.
Bienvenue donc dans mon incohérence.
Je ne suis pas là pour vous parler de mon emploi du temps. Si j’écris ce billet, c’est d’abord pour aborder le sujet de l’écoanxiété. Cette réalité dont j’ai pris la pleine mesure, il y a de cela près de deux ans, en échangeant avec des gens qui en souffrent ainsi qu’avec ceux qui l’étudient. Un mal-être fondé et souvent mal compris qu’éprouve un nombre grandissant de personnes. Une vague de lucidité que j’ai moi-même avalée comme un bouillon. On la reçoit. On s’étouffe, on tousse, on crache. Et après ? Quoique « sains » et saufs, on ne peut plus l’ignorer. Elle est là, quelque part, cette vérité qui nous empêche de respirer à pleins poumons.
Et la vérité c’est que nous sommes à un point de non-retour. Ou on agit collectivement, ou on embaume le vivant. Même parfumée, cette suite ne sent pas bon et c’est pourtant celle vers laquelle nous nous dirigeons à l’heure actuelle.
Que nous devions réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 45 % d’ici 2030 et atteindre la carboneutralité d’ici 2050, sans quoi surviendront des dommages irréversibles pour la planète, on le sait. Tout le monde le sait. Mais l’évidence est dure à avaler. C’est peut-être pour ça qu’on parfume, parce que la vérité « goûte mauvais ». Extinction d’espèces au goût de cerise. Millions de déplacés saveur raisin. Terres inondées à croquer pour les amateurs d’oranges. On avale, on dilue et le mal passe… jusqu’à la prochaine nausée. Or, on ne guérit ni l’humain ni la Terre à coups de pilules bonbon.
Si j’ai entrepris l’écriture de ce livre, c’était d’abord pour comprendre. Comprendre cette peur chronique du désastre environnemental dont on parlait abondamment avec une désinvolture qui me laissait perplexe. Écoanxiété : pourquoi tant user d’un mot que chacun peine à définir ? Serions-nous en train d’en faire un cliché avant même d’en avoir saisi l’essence ? C’était mon impression. Ça l’est toujours.
Mon vieux vinyle et moi avons passé des nuits à nous tordre les sillons et l’esprit pour essayer de saisir les origines et la réelle nature de ce trouble. La tête plongée jusqu’aux petites heures du matin dans la littérature scientifique et les témoignages.
Or, maintenant que ce livre est terminé, sa matérialité me fait l’effet d’un miroir grossissant. La quatrième de couverture me renvoie mon image… et mes contradictions. N’ayant plus le loisir de me perdre dans les récits des autres, je me retrouve seule en tête-à-tête avec ma conscience, qui me dévisage dans un silence inconfortable.
Et toi ? semble-t-elle me toiser.
Moi ? Je suis un objet bouillant. Fait de particules agitées. Volatile, je rêve désormais de m’enraciner. Certains disent de l’humain du 21e siècle qu’il est hors sol, qu’il a besoin de reprendre contact avec la Terre pour se retrouver. Les écopsychologues affirment qu’il est vain d’espérer guérir la psyché humaine en faisant fi de l’environnement et de la nature dans laquelle elle se construit. L’inverse est aussi vrai. S’il espère prendre soin de la Terre, l’humain doit également apprendre à se soigner lui-même.
Impossible de vivre en équilibre avec son environnement sans revisiter son propre équilibre. Et le mien, l’horloge me le confirme maintenant, n’a absolument rien de sain.
S’écouter, écouter tout court, tenter d’être cohérents… Selon les nombreux échanges à travers lesquels s’est construit ce livre, c’est la première étape pour trouver la force et le temps de redonner à la Terre et au vivant.
Il est plus de minuit. Sourde à ma fatigue, j’entends pourtant les soubresauts de l’aiguille sur la table tournante. Chacun d’eux me rappelle qu’à force de tourner en rond, même si la musique était au départ magnifique, elle s’use. Et pire encore, on endommage la suite. On tourne en rond, on s’use et on endommage l’avenir.
L’humanité est usée. Mais l’essentiel, comme la nature et la musique, reste.
Et ce sont elles qui nous tiennent debout. Nos racines.
2 réponses à «Incohérence»
Génial. Et hélas tellement vrai. Merci.
Touchant Juste Et oui c'est un pas à la fois En pleine conscience que l'on doit avec honnêteté prendre réellement conscience de chacun de nos gestes Et je dirais d'en jaser ensemble Au lieu que ce soit un sujet tabou Faut se rendre à l'évidence Tout le monde peut améliorer son rapport à la terre et diminuer son empreinte Merci Noémie