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Maternelle 4 ans : que dit la science?
Mon œil, une série de billets signés Mathieu-Robert Sauvé
« La maternelle à 4 ans pour tous les enfants, c’est une fausse bonne idée », lance Sylvana Côté en entrevue quelques jours après son audition à la Commission parlementaire sur la culture et l’éducation sur le projet de loi numéro 5. Ce projet de loi veut instaurer à l’ensemble des enfants du Québec l’accès à l’école maternelle à partir de 4 ans (plutôt que 5, comme c’est le cas actuellement). Pour le premier ministre du Québec, François Legault, cette réalisation (une promesse électorale) vise à donner aux Québécois un nouvel outil « pour agir tôt, pour dépister plus rapidement les troubles d’apprentissage et pour aider nos enfants à réussir ».
Les impacts sur le développement de l’enfant
Or, le dépistage des troubles d’apprentissage, c’est justement une des spécialités du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale de l’enfant (GRIP), fondé dans les années 1980 par le Montréalais Richard E. Tremblay, et duquel fait partie la professeure Côté. Le navire amiral du GRIP, c’est une série d’études longitudinales et expérimentales de la trajectoire de vie de milliers d’enfants du Québec. L’approche est empirique : on observe des jeunes dans les garderies et les écoles et on les retrouve plus tard pour tenter de comprendre pourquoi certains sont en prison, d’autres leurs avocats.
Depuis trois décennies, on tente d’identifier les comportements observables en très bas âge pour connaître l’inadaptation des individus à différentes étapes de leur parcours scolaire et professionnel. Ce type de recherche, l’une des premières et des plus fertiles au monde en terme de productivité scientifique (Tremblay est le sixième chercheur en développement de l’enfance le plus cité dans l’index Web of Science; ses travaux sont mentionnés 10 fois par jour dans des articles scientifiques), a permis de mesurer les effets de différentes variables sur le développement des enfants. Cette semaine, par exemple, paraît dans JAMA Psychiatry une étude signée Sylvana Côté et ses collaborateurs qui dit que les enfants inattentifs à 5 ans auront une carrière moins payante que les autres enfants de leur classe à 35 ans. Une différence qui peut atteindre 76 000 $ sur 25 ans.
Les CPE sont la clé
Tel que présenté le 29 mai dernier à la Commission de la culture et de l’éducation, le point de vue de Mme Côté et de ses deux cosignataires (Tremblay et Christa Japel, de l’UQAM) est qu’une généralisation des maternelles 4 ans serait une bonne chose s’il n’existait pas au Québec le réseau des Centres de la petite enfance (CPE).
Même s’il n’est pas sans défaut (il manque encore de places pour accueillir les jeunes), le réseau des CPE accomplit beaucoup pour le développement des enfants. Il est même supérieur à la petite école, sous plusieurs aspects. Le paragraphe suivant tiré du mémoire des spécialistes résume leur propos :
« Dans certains contextes sociopolitiques (comme le reste du Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni), la maternelle 4 ans peut sembler une mesure prometteuse pour favoriser la réussite scolaire et réduire les inégalités sociales, parce qu’il n’y a pas de réseau d’éducation préscolaire de qualité comme celui que le Québec a mis en place depuis 20 ans. Les écarts de réussite scolaire entre les enfants de milieux défavorisés et les autres vont continuer d’augmenter s’ils ne reçoivent pas des services de garde de qualité avant d’entrer en maternelle. Nous recommandons donc de favoriser l’accès des enfants de milieux défavorisés aux services de garde de type CPE pour qu’ils soient en mesure de profiter de leur scolarisation dès la maternelle. »
Citoyens et organismes ont été entendus sur le projet de loi 5 durant les auditions tenues à l’Assemblée nationale au cours des dernières semaines. Tout le monde a droit à son opinion, mais il faudrait aussi écouter ce que dit la science.
Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé a signé des textes dans une quinzaine de publications dont L’actualité, Le Devoir, La Presse et Québec science et publié des essais et biographies chez Boréal, VLB, Québec Amérique, XYZ et MultiMondes. Il a remporté plusieurs prix de journalisme et d’écriture. Reporter à Forum de l’Université de Montréal depuis 1988 et rédacteur en chef du magazine Les diplômés, de 2015 à 2017, il a été chroniqueur scientifique aux émissions L’après-midi porte conseil, La nuit qui bat et Médium large à la Première chaîne de Radio-Canada, et blogueur à l’Agence Science-Presse. Il a présidé l’Association des communicateurs scientifiques du Québec de 2008 à 2012 et participé à de nombreux jurys.
Le nom de sa série de billets chez MultiBlogues, Mon œil, fait allusion à son regard sur l’actualité, mais c’est aussi l’expression du scepticisme nécessaire.
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