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Immigration, colonisation et propagande

Du rêve américain au rêve colonial

L’un des traits marquants du XIXe siècle a été le grand brassage de population qui a déversé sur les mers du globe des dizaines de millions d’immigrants. Jamais, depuis la fin de l’empire romain, n’avait-on vu un tel mouvement de masse, auquel même le Québec a participé. En Europe seulement, on estime qu’au moins 50 millions de personnes, sans doute plus, ont quitté leur pays d’origine pour se diriger vers les terres neuves des deux hémisphères, mues par l’espoir d’une vie meilleure, faite de bonheur, de liberté et d’indépendance. C’est d’ailleurs ce que leur ont promis les propagandistes de l’époque et tous ceux qui se sont donné pour mission de stimuler et de soutenir le mouvement. Enraciné dans les mythes qui ont entouré la découverte de l’Amérique, leur discours a été partout semblable et a fait des nouveaux mondes de véritables Terres promises, données par Dieu aux peuples civilisés pour qu’ils puissent suivre le commandement des Écritures et étendre les bienfaits de la religion et de la civilisation.

Considérée comme la question de l’heure par les contemporains, l’immigration est vite devenue une panacée, capable de résoudre les problèmes démographiques, économiques, moraux et sociaux suscités par la montée du capitalisme et les crises cycliques de l’économie. Pour qu’elle puisse jouer ce rôle, cependant, il a fallu la canaliser et lui faire servir les fins d’une colonisation plus «systématique» et même «dirigée», qui devait bénéficier à la fois aux sociétés mères et aux colonies. D’où l’idée d’en faire un complément du libre-échange, qui fournira aux unes les marchés dont elles ont besoin pour vendre leurs produits manufacturés et aux autres les moyens de les acheter, en plus de la main-d’œuvre dont elles ont besoin pour se développer. D’où l’idée aussi de lui associer les promesses de la science et de la morale – qui lient le bonheur au progrès matériel et industriel –, et de la faire reposer sur le respect des croyances et des traditions d’origine, afin de maintenir la foi en l’avenir et les liens avec la société d’origine. Et, comme l’heure est aux mouvements de masse et que l’immigration elle-même devient un marché lucratif, c’est dire la vigueur avec laquelle on tentera de convaincre les immigrants d’aller s’établir dans les nouveaux mondes, non seulement pour se bâtir un avenir meilleur, mais également pour rentabiliser le capital et assurer la main-d’œuvre qui lui est nécessaire.

Construit autour d’une source originale – les brochures de propagande parues en Grande-Bretagne, dans certains pays d’Europe continentale, au Canada, au Québec, aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande –, l’ouvrage passe en revue les discours qui, pendant plus d’un siècle, ont accompagné la conquête des terres neuves. Non seulement il en révèle le contenu, mais il en analyse aussi les procédés, pour en faire un objet de comparaison avec le discours québécois de colonisation et en exposer les particularités. Il montre que, loin d’être replié sur lui-même, ce dernier a été au contraire traversé d’influences qui l’ont rapproché des autres discours, au point de lui fournir tant ses thèmes que ses stratégies discursives, lesquels, fortement inspirés par les propagandistes canadiens et britanniques, ont médiatisé les influences française et américaine.

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